La prévalence de l’insuffisance cardiaque (IC) ne cesse d’augmenter. Elle s’accompagne d’une mortalité et d’une morbidité élevées et constitue l’une des principales causes d’admissions hospitalières. Les hôpitaux fonctionnant à pleine capacité, l’un des plus grands défis consiste à déplacer les prestations de soins d’un cadre passif centré sur l’hôpital vers une approche pro-active et à distance centrée sur le patient (1). C’est dans le cadre de la prise en charge multidisciplinaire de l’insuffisance cardiaque que le Dr Pierre Troisfontaines (Cardiologie, CHR Citadelle) a souhaité placer les résultats de l’étude MONITOR-HF, publiés en 2023 dans The Lancet, qui évaluait les performances d’un dispositif de monitoring à distance de la pression artérielle pulmonaire.
Malgré les progrès considérables de sa prise en charge, l’insuffisance cardiaque (IC) reste une pathologie fréquente, grave et coûteuse. Sa prévalence augmente, principalement en raison du vieillissement de la population (la prévalence est estimée à 10% chez les sujets > 70 ans) et de l’amélioration de la survie post-infarctus. La mortalité annuelle demeure très élevée – de l’ordre de 10% – tandis que le nombre d’hospitalisation continue de croître, l’IC étant la première cause d’admission chez les > 65 ans. «En Belgique, on dénombre quelque 250.000 patients insuffisants (IC) et 25.000 hospitalisations annuelles pour IC (chiffres pré-COVID).» Ces séjours hospitaliers consomment plus de la moitié des coûts liés à l’affection. On observe deux pics de réhospitalisations dans le parcours du patient, l’un précoce, dans les 3 premiers mois de retour à domicile (appelé phase vulnérable), l’autre tardif, lors de l’évolution terminale de la maladie (2).
«La réduction des hospitalisations pour IC a non seulement un impact budgétaire, mais améliore aussi la qualité de vie des patients et leur pronostic ; ces hospitalisations se caractérisent en effet par une dégradation hémodynamique et rénale, avec de possibles complications – rythmiques ou autres – et un risque de décès». La télémédecine, en particulier la télésurveillance, fait partie des mesures proposées pour diminuer ces réadmissions des patients les plus instables. «La télésurveillance est d’autant plus amenée à se développer que le nombre de patients insuffisants cardiaques évolue bien plus vite que les structures médicales capables de les prendre en charge».
En quoi consiste la télésurveillance?
Le principe est de suivre à distance des paramètres physiologiques, dont les variations traduisent soit des signes avant-coureurs (liés à la congestion le plus souvent), soit des facteurs de décompensation (par exemple, un passage en fibrillation auriculaire), afin de permettre une intervention précoce visant à prévenir l’hospitalisation, par exemple avec des adaptations thérapeutiques (2).
Il a été montré que les premiers signes cliniques d’aggravation (dyspnée, œdèmes, prise de poids) apparaissent en moyenne plusieurs jours avant une réhospitalisation pour IC mais des marqueurs précoces comme l’augmentation des pressions de remplissage ventriculaire et de la pression artérielle pulmonaire les devancent en moyenne de trois semaines avant la réadmission (2).
Les recommandations internationales préconisent une pesée quotidienne, une prise de poids de plus de 2 kilos en 3 jours constituant un signe d’alerte. Cependant, la variabilité du poids corporel total est un prédicteur de sensibilité et de spécificité faible, comme la plupart des paramètres non-invasifs.
Suivre la pression de l’artère pulmonaire
Le système CardioMEMS-HF (Abbott Laboratories) mesure la pression de l’artère pulmonaire, utilisée comme paramètre hémodynamique de substitution de la pression de remplissage du coeur gauche. Il a été évalué dans l’essai CHAMPION chez des patients souffrant d’IC de classe NYHA III, puis dans l’essai GUIDE-HF qui n’avait pas abouti à des résultats concluants dans une population plus large de patients souffrant d’IC NYHA II-IV (1). «Ces 2 essais avaient été menés aux États-Unis et il était apparu nécessaire d’évaluer le dispositif dans un système de soins européen, chez des patients recevant un suivi structuré et une approche pluridisciplinaire avec un traitement médical conforme aux recommandations, d’où la conduite de MONITOR-HF».
MONITOR-HF
«MONITOR-HF a été réalisée dans 25 centres multidisciplinaires de prise en charge de l’IC des Pays-Bas chez des patients présentant une IC de classe NYHA III et au moins une hospitalisation antérieure pour IC – tels que nous en rencontrons fréquemment dans nos centres». 348 patients ont été assignés au hasard à la surveillance hémodynamique (système CardioMEMS-HF) ou aux soins standards. Ils ont été revus à 3 mois et à 6 mois, puis tous les 6 mois jusqu’à 48 mois. L’âge médian était de 69 ans (IQR 61-75) et la fraction d’éjection médiane de 30 % (23-40).
«Les résultats montrent que l’utilisation du CardioMEMS permet d’optimaliser le traitement des patients, améliore leur qualité de vie - la différence de changement moyen du score global du KCCQ à 12 mois est de 7,13 (p = 0-013) entre les groupes (+7,05 dans le groupe CardioMEMS, p = 0,0014, et -0,08 dans le groupe de soins standard, p = 0,97) - et réduit les hospitalisations pour aggravation de l’IC (-44%, p = 0,0053), quelle que soit la forme d’IC, à fraction d’éjection réduite ou préservée». Pour le détail des résultats, nous vous renvoyons vers la publication du Lancet (1).
Quelques commentaires
«Le dispositif est malheureusement coûteux, environ 12.000 euros. En Belgique, il est actuellement pris en charge par les hôpitaux sur leurs fonds propres. On le réserve aux patients instables en classe NYHA 3, qui ont déjà présenté un épisode congestif en dépit des tentatives d’adaptation thérapeutiques et que l’on estime suffisamment compliants. En effet, il faut en effet que le patient accepte l’implantation et de faire les mesures de façon régulière (de préférence le matin, au lever, en s’installant sur un oreiller spécial qui fait office de récepteur pour le capteur).»
«La procédure d’implantation est comparable à une procédure de cathétérisme droit. C’est un geste connu et maîtrisé, pratiqué dans toutes les unités de soins intensifs. En pratique, le risque de complication est très faible et se limite généralement à un hématome ou un faible saignement au point de ponction. Nous n’avons jamais observé de migration du dispositif de mesure. De mon point de vue, le risque associé au placement d’un CardioMEMS est inférieur à celui d’une “banale” coronarographie».
«Le système est passif et ne comporte aucune batterie. Il se présente comme un anneau central – ressemblant à une attache trombone –, avec une boucle de part et d’autre. Il s’endothélialise avec le temps et est donc placé à vie. Le patient reçoit une anti-agrégation temporaire après le placement du dispositif».
«Les mesures de pression sont quotidiennes et sont envoyées au centre de télémédecine une fois par jour, via des serveurs sécurisés. Le cas échéant, leur analyse est combinée à celles des autres dispositifs dont le patient serait équipé (CRT ou ICD). Un contact est pris avec le patient s’il omet de prendre sa mesure et dans le cas où une intervention est requise».
«Dans notre centre, 14 CardioMEMS ont été placés avec succès par des opérateurs ayant l’expérience de cathétériser et d’opacifier des artères pulmonaires. Notre premier patient a été implanté il y a plus de 5 ans. Il se porte bien. Mieux, il est tout à fait stabilisé et a repris une activité physique régulière».
À quand un financement de la prise en charge pluridisciplinaire de l’IC? «Cela fait des années que nous plaidons en faveur de la mise en place d’un parcours de soins “insuffisance cardiaque”. Les autorités nous avaient demandé de patienter lors de la mise en œuvre des parcours “diabète” et “insuffisance rénale”, il y a plus de 10 ans. Nous espérons toujours obtenir un financement pour la prise en charge pluridisciplinaire de l’IC, dont on sait qu’elle réduit le risque de réhospitalisation des patients. La télécardiologie a sa place dans les programmes de prise en charge multidisciplinaire et c’est dans ce cadre que s’inscrit l’utilisation du monitoring de la pression pulmonaire. L’objectif n’est pas que la télécardiologie se substitue au médecin traitant, au spécialiste ou à l’infirmier-ère spécialisé-e, mais qu’elle apporte une aide afin que les ressources puissent être concentrées sur les patients les plus instables». |